Jeudi 17 mai 2007

Kommando de Ahlem ( Hanovre)


Chantrel


René Chantrel de Ploërmel ( Morbihan)



Ecoute de l'enregistrement


RETOUR "LES VOIX DU SOUVENIR"
Transcription

Sur ce camp, les effectifs - comme l’a dit Robert tout à l’heure - étaient environ de mille hommes. C’est un kommando un peu particulier ; je pense que ça doit être le seul kommando de Neuengamme qui était surnommé le « kommando juif » ; oui, il y avait des Juifs, énormément d’ailleurs ; fallait compter neuf cents Juifs, de nationalité polonaise et hongroise, et autrement nous étions vingt Russes, dix Français et deux Espagnols. Les Juifs avaient leur insigne normale, l’étoile jaune, et nous, le triangle rouge. Il n’y avait aucune différence entre les Juifs et nous, le régime était le même pour tout le monde.

En quoi consistait le travail ?…Un grand trou lorsque je suis allé , pour la première fois, au travail…une grande fosse…Le but était surtout d’exploiter pour en retirer… ce qui sert à la construction de l’asphalte ; je vous dirai, j’ai travaillé avec une pelle et une pioche tout le temps sans savoir ce que je faisais… pour moi, c’était de la pierre. Cette construction souterraine a été poussée vu que la ville de Hanovre était assez souvent bombardée. D’ailleurs, nous, indirectement, ça nous arrangeait pas, parce que chaque fois qu’il y avait une alerte…quand c’était pendant la journée, on en profitait…ça ne changeait rien du tout…mais, la nuit, fallait se lever…alors c’était des heures de sommeil en moins ; il m’est arrivé, même quelquefois, de ne pas y aller, à mes risques et périls…

…C’était surtout cette usine souterraine…ils avaient compris que, vu la disparition de pas mal de leurs usines, ils n’avaient qu’à faire cela en souterrain…Ils pouvaient y aller, vous savez, au dessus de nous, il y avait vingt à trente mètres de roc, alors les bombes ne pouvaient rien faire...

Alors, ça a toujours été, pour tout le monde, le même travail : pioche et puis wagonnet pour évacuer tout cela…et moi, ce qui m’ a été le plus pénible, c’était les marches ; vous avez tous entendu parler de ces fameuses marches à Mauthausen - la carrière-, et bien cela correspondait un peu à cela : les descendre, déjà, c’était pas marrant, mais quand fallait les remonter…Moi, ça m’a cisaillé… C’était pas le kommando le plus dur dans l’ensemble ; quand on s’est trouvé ici à parler à l’Hôtel de ville d’Hanovre et dans les écoles…C’est pas parce que c’était un kommando juif…j’avais eu l’occasion de faire, un peu avant, pendant tout l’automne de 44, le kommando de Husum qui était surnommé ? ? ?…c’est ça qui nous avait fichu dedans la plupart…autrement, pour moi, c’était un kommando comme les autres.

…On a été libérés le 6 avril 45 ; moi, de mon côté, j’étais entré au Revier (infirmerie)…un bon copain à moi - qui avait douze ans de plus, un marin de Morgat, Finistère - m’avait dit «  Tu peux pas continuer », j’arrivais plus à monter les marches, alors qu’est-ce qu’ils m’auraient fait ?…La meilleure solution, c’était au moins d’essayer de rentrer au Revier ; je me présente au Revier ; je me dis « Comment je vais être accueilli ? »…Je tombe bien ! Le médecin – je pense qu’il était médecin ( je ne l’ai su qu’après)- était français, il habite Ajaccio: surprise! Il était juif lui même, je l’ai su par la suite vu son nom, « Israel », et à Ajaccio, effectivement, il y avait beaucoup d’« Israel ». Alors, c’est lui qui m’ a fait entrer au Revier…Tout ce que je sais… c’est qu’il n’y avait aucun soin, naturellement ; j’avais attrapé la dysentrie, ce qui n’arrangeait pas les choses…Aucun soin…Combien on est resté de temps ? J’peux pas vous dire…un homme est costaud, puis quand il n’a plus rien à perdre…il n’a plus rien à perdre ! J’ai dû rester… L’évacuation du camp, d’ailleurs, s’est faite rapidement… tellement rapidement que beaucoup n’ont pas suivi ; nous, on nous a fichu la paix… […inaudible, vent…]

J’étais surpris, à la libération après, de retrouver à l’hôpital où on nous avait évacués beaucoup de camarades, j’étais pas le seul…[…]Jusqu’à l’arrivée à l’hôpital, j’avais été (au Revier) plus de dix jours sans manger…quand je dis sans manger, c’est absolument rien du tout…on était là…y a des copains qui étaient morts, ils nous gênaient pas[…vent]

Un truc particulier…J’sais pas comment cela s’est su : un jour, je reçois la visite de deux prisonniers de guerre, qui se trouvaient à quinze kilomètres de chez moi ; ils connaissaient mon nom… ils m’ont vu ; on a su - à l’extérieur- qu’il y avait un Français…J’étais pas le seul, pour ainsi dire après l’évacuation, mais j’ai des copains qui étaient sortis en ville, et puis j’ai su par la suite – quand j’ai retrouvé mon copain du Finistère – qu’ils s’étaient fait mettre la main dessus par la police allemande qui les avait envoyés dans un camp de prisonniers…
Il s’est passé des choses pendant ce jour-là, mais c’est vague…j’me souviens d’une ambulance, américaine, (j’en avais jamais vu d’ailleurs) ; il y avait un sacré chahut à l’extérieur ; j’ai réussi à me traîner quand même, curieux comme tout le monde, et j’ai failli me faire renverser…Ils étaient là, je sais pas…ils vidaient les cuisines et ils donnaient ça aux p’tits copains…

Oui, alors ces prisonniers de guerre, ce sont eux qui m’ont évacué vers l’hôpital d’Hanovre, dans une petite camionnette avec de la paille comme si on avait mis un cochon d’dans…c’est vrai que dans l’état où j’étais…j’pesais pas lourd, j’ai su après à l’hôpital : vingt-hui kilos !, rempli de poux, j’avais plus de vêtements, une couverture…alors ils étaient de bonne volonté les prisonniers…mais y en a pas un qui a osé me toucher !

Arrivé à l’hôpital d’Hanovre : retondu à bloc, désinfection et le bain ; et, je suis resté là bas un mois et demi.
Je leur avais dit « Vous préviendrez mes parents »…Naturellement, ils sont revenus avant moi, mais ils n’ont pas prévenu mes parents parce que tout ce qu’ils pouvaient dire aux gens : « Y reviendra pas ! ». Ca va vite le téléphone arabe dans les petits pays, on le dit à une ou deux personnes…une heure après, tout le monde le sait…[…]

Pendant que j’étais là-bas, j’avais la visite de pas mal de prisonniers, tout le monde s’était passé le mot, y a même un aumônier un jour qui s’est présenté et j’ai eu l’extrême-onction ! […] J’étais le seul catholique ; y avait une bonne sœur qui était là, et, effectivement, elle venait souvent me voir ; elle devait se dire «  Y en a un ! alors celui-là, si on le sauve pas… »…C’était un peu du parti pris ![…]

…J’ venais d’avoir vingt et un ans…J’croyais bien y passer même une fois libéré ! J’en avais marre… y avait une infirmière qui venait faire des intra-veineuses, y avait plus rien ! Moi, quand je faisais le tour de mes cuisses, quand j’étais sur mon châlit rempli de poux, et bien j’faisais le tour de mes cuisses avec mes mains. Le petit Revier où j’étais – une fois, il m’est arrivé de sortir, quand il y avait le coup de l’ambulance – je vais pour rentrer, je tombe devant une glace ! (qui existait et que j’avais jamais vue parce qu’une glace, dans un camp de concentration, c’était réservé aux SS et aux Kapos, mais pas aux détenus):  et bien, quand j’me suis regardé dans la glace, ben j’ai pleuré…Je me suis dit «  C’est pas vrai ! rendu à ce point là ! », j’suis resté un moment, j’ai tourné la tête… « C’est pas vrai » j’ai regardé, je n’ai plus insisté ; là, je me suis vu, tel que j’étais, parce qu’autrement on voyait les autres, on ne se voyait pas…

Alors, j’ai passé un mois et demi dans cet hôpital où on m’avait évacué…
[…]…et puis, on est là et pas pressé de partir !

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